« VOIR LA VILLE COMME UNE MINE DE RESSOURCES »

BOMA rassemble des personnes convaincues qu’il est possible, grâce à des solutions d’économie circulaire, de réduire l’impact environnemental des matériaux de construction et de faire évoluer nos manières de bâtir vers des modèles plus résilients. Vous voulez en savoir plus ? Découvrez notre interview avec Clémence Guinin, co-gérante de BOMA !

Propos recueillis par Anne Kielbassa, chargée de communication à l’Agence du climat. Publication originale sur le blog de l’agence du climat.

Vous avez un projet ou un engagement en faveur du climat ? 

Crédit photo : © Abdesslam Mirdass

Pourriez-vous présenter brièvement BOMA ? D’où vous est venue l’idée de créer un bureau d’études spécialisé dans le réemploi des matériaux de construction ?

BOMA est aujourd’hui une entreprise coopérative, mais nous avons démarré notre aventure en tant qu’association. Au départ, nous étions plusieurs personnes passionnées cherchant des solutions pour réduire le gaspillage des matériaux de construction. Suite à notre réflexion collective, nous avons créé une association axée sur l’accompagnement et la sensibilisation, tout en définissant progressivement notre projet économique. Au fil du temps, elle est devenue une coopérative en 2022. A l’origine, il y avait quatre fondatrices, mais aujourd’hui notre équipe compte 8 personnes aux profils très variés : des ingénieurs, une contrôleuse de gestion et une architecte. Quant à l’activité de BOMA, elle s’étend sur toute la région Grand Est. Récemment, le Syndicat Professionnel du Réemploi dans la Construction (SPREC) a été créé pour s’organiser et partager au niveau national les pratiques dans le domaine.

Quelle est la différence entre une entreprise coopérative et une entreprise classique ?

Une coopérative diffère d’une entreprise classique par le mode de prise de décisions. Nous les prenons collectivement en veillant sur notre impact socio-économique, plutôt que de chercher à générer un maximum de bénéfices.

Le réemploi des matériaux de construction est-il une pratique récente et qu’en est-il dans d’autres pays européens ? Existe-t-il d’autres bureaux d’études spécialisés dans le réemploi en France ?

C’est une pratique relativement nouvelle dans de nombreux pays européens, bien que les Pays-Bas et la Belgique soient les précurseurs de cette méthode. Chez nos voisins allemands, il y a moins de structures telles que la notre, nous en connaissons seulement deux. En France, des structures similaires à BOMA existent à peu près dans chaque grande ville comparable à Strasbourg.

Est-ce que cette pratique est soutenue par les fonds européens ?

Oui, il y a des fonds dédiés pour la soutenir, comme FEDER – Interreg FCRBE (Facilitating the Circulation of Reclaimed Building Elements in Northwestern Europe, ou « faciliter la circulation d’éléments de réemploi en Europe du Nord-Ouest »). Bellastock est une structure en France qui bénéficie de ces projets et effectue la R&D dans ce domaine.

Quels sont les avantages pour les porteurs de projet qui choisissent le réemploi de matériaux plutôt que l’utilisation de matériaux neufs ?

En recyclant une matière, on perd sa qualité, en la réemployant, on préserve la ressource. Le réemploi de matériaux présente donc plusieurs avantages significatifs. Tout d’abord, il réduit considérablement l’empreinte carbone d’un projet de construction en évitant l’extraction des minerais, ainsi que la production et le transport de nouveaux matériaux. De plus, les matériaux de réemploi ont souvent une qualité équivalente, voire supérieure, à celle des matériaux neufs, car ils ont déjà été déposés, stockés et triés. Ce processus crée également des emplois locaux pour la préparation des matériaux en vue de les utiliser sur les chantiers. BOMA emploie actuellement huit personnes, tandis qu’une quinzaine de personnes sont impliquées de manière indirecte dans des entreprises locales dans la préparation des matériaux. En outre, l’utilisation de matériaux de réemploi peut réduire considérablement les coûts de construction, car il n’est pas nécessaire de chercher des minerais ailleurs ou de produire des matériaux neufs. De plus, il s’agit d’un produit qui est disponible immédiatement, il n’y a pas de longs mois d’attente pour recevoir sa commande provenant de l’autre bout du monde. Enfin, le réemploi permet de créer des projets uniques, avec du caractère et de la qualité, et, surtout, de réduire les déchets. 

Quelles sont les obstacles potentiels à l’utilisation de ces matières ?

Certains porteurs de projet peuvent considérer que le réemploi de matériaux est compliqué et coûteux, car cela ne correspond pas à leur façon habituelle de travailler. Ils peuvent également hésiter à utiliser ces matériaux par peur que le résultat final ne soit pas esthétique et fasse trop « récup’ ». Cependant, nous leur expliquons qu’il est possible d’utiliser des matériaux de qualité et que le résultat ne montre souvent pas que ce sont des matériaux récupérés. Actuellement, nous sommes en train de créer un showroom pour présenter des échantillons afin de convaincre avec des exemples concrets.

Quelles sont les projets locaux où des matériaux provenant de cette filière ont été utilisés ?

Le réemploi des matériaux devient de plus en plus présent dans les projets de construction, notamment dans des projets tels que le Kaleidoscoop à Strasbourg (un tiers-lieu transfrontalier et durable). Les matériaux utilisés peuvent être très variés, allant du carrelage au bois en passant par le parquet et le vitrage.

Concernant les assurances, est-ce qu’au niveau de la loi, cela représente un certain risque pour le porteur de projet ?

Non, il n’y a pas de risque. BOMA gère une partie de l’expertise des matériaux par des laboratoires et s’occupe de fournir les preuves nécessaires aux assurances. Le réemploi de matériaux se généralise, ce qui renforce le besoin de respecter les règles et les lois en vigueur. En somme, le réemploi est une pratique de plus en plus courante et accessible, avec des avantages économiques et environnementaux non négligeables, et qui se conforme aux exigences législatives.

Quel accompagnement propose BOMA concrètement ?

Nous proposons un accompagnement en deux étapes :

1. Nous réalisons un diagnostic, obligatoire depuis le 1er janvier 2023, qui consiste à identifier tous les produits, équipements, matériaux et déchets pouvant être réemployés ou recyclés sur le chantier d’origine ou sur d’autres chantiers.

2. BOMA trouve des entreprises pour réaliser ces actions, en proposant des contrats juridiques et en facilitant la démarche de A à Z.

Les architectes et les maîtres d’ouvrage peuvent contacter BOMA pour bénéficier de cet accompagnement complet.

Estimez-vous que le public a besoin d’être davantage sensibilisé concernant cette thématique ?

Le grand public est déjà sensibilisé, par exemple par l’aspect financier. Une idée qui pourrait ancrer davantage cette pratique dans l’imaginaire des gens, serait un magasin des matériaux de réemploi. BOMA a ouvert un magasin de ce type pendant un an à Strasbourg. Il était possible d’y venir chaque vendredi après-midi, et il a rencontré un franc succès ! Le projet de magasin de matériaux est en cours d’incubation par Start Up de Territoires, pour redémarrer en 2023, dans une nouvelle dynamique citoyenne et collective.

Vous proposez également de nombreuses actions de sensibilisation et des évènements autour de l’économie circulaire et du réemploi, de quelles actions s’agit-il ?

À la demande d’un client, qui souhaite sensibiliser l’ensemble des membres d’une entreprise, BOMA propose des actions de sensibilisation à la démarche du réemploi. Cela peut inclure des conférences ouvertes au grand public, y compris des enfants, pour promouvoir cette approche. De plus en plus d’écoles, telles que l’INSA, incluent également cette démarche dans leur parcours d’enseignement. 

Prochain événement ouvert au grand public, atelier « Je réduis mon empreinte carbone avec le réemploi ! ».

Pour conclure cette interview, comment pourrait-on résumer la philosophie de BOMA ?

Elle peut se résumer en trois points :

LA TRANSFORMATION DES PRATIQUES // déconstruire plutôt que démolir, réemployer plutôt que recycler, réutiliser plutôt qu’incinérer.

L’ÉVOLUTION DES MENTALITÉS // montrer que le réemploi peut être esthétique, fiable, économiquement intéressant et techniquement réaliste (ça peut fonctionner avec les assureurs, les entreprises, on s’en occupe).

LES CHANGEMENTS DE PARADIGME // voir les chantiers comme des gisements de ressources, et la ville comme une véritable mine de matériaux !

Notre objectif est d’aider à modifier la perception des matériaux anciens en montrant qu’ils ne sont pas des déchets, mais des ressources précieuses. BOMA souhaite inspirer des architectes et les convaincre de l’importance de cette démarche, afin de passer ensemble à la phase opérationnelle.

Propos recueillis par Anne Kielbassa, chargée de communication à l’Agence du climat.

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